Les mois d’octobre et de novembre voient fleurir la réalisation d’enquêtes Origine-Destination (O-D), source incontournable de connaissance des réseaux urbains de métropoles et villes moyennes, dans l’optique de réflexions sur les évolutions de l’offre de transport. Dans le contexte post-covid, quelle confiance peut-on encore accorder à l’enquête-reine des réseaux de transport public ?
Ces enquêtes O-D sont particulièrement attendues en cet automne 2022 puisqu’elles constitueront la première « photo » post-covid des réseaux, dans un contexte de fréquentation que chacun espère stabilisé.
Une vision précise à l’instant T si on veut bien y mettre les moyens
Nettement moins chères que les Enquêtes Ménage-Déplacements (EMC²), beaucoup plus précises que les comptages ou enquêtes sectorielles, les enquêtes O-D sont souvent sanctuarisées dans le portefeuille des sources de connaissances de déplacements de chaque réseau. Pour autant, fournissent-elles autant de profondeur d’analyse des déplacements qu’on le souhaite ?
Un premier élément de réponse se trouve dans la méthodologie de réalisation des enquêtes. Celles-ci peuvent avoir lieu sur une période plus large, en se basant sur un échantillon de déplacements sur tout ou partie du réseau. Plus une enquête O-D a lieu sur une période restreinte, avec le maximum d’exhaustivité (pas d’échantillonnage), plus elle reflète les mobilités sur le réseau. Néanmoins, réaliser une enquête selon cette méthodologie peut se chiffrer jusqu’à 150 000 euros pour un réseau de 100 000 habitants, avec un coût par habitant exponentiel au-delà de ce seuil, pour les grands réseaux urbains.
Modulo une profondeur d’échantillon variable, les enquête O-D fournissent des données remarquables qualifiant la fréquentation d’un Jour Ouvrable de Base (JOB) – soit un mardi ou un jeudi de période scolaire – avec une identification des déplacements de l’origine à la destination sur le réseau, en intégrant des correspondances éventuelles pendant le déplacement et en amont de celui-ci et en qualifiant chaque déplacement par un motif de déplacement et une caractérisation du voyageur (âge, sexe, CSP etc.).
Une source captant de manière incomplète la complexité des déplacements sur un réseau de transport
Pour autant, si les JOB constituent le bon point d’équilibre pour dimensionner une offre de transport stabilisée sur la semaine permettant de valider la structure d’un réseau, ces jours ne représentent que 18% des jours d’exploitation d’un réseau chaque année (Entre 55 et 60 jours). Les données des enquêtes O-D ne permettent pas d’assurer que le réseau répond aux besoins dans les périodes creuses comme le samedi, le dimanche, ou les vacances scolaires. L’enquête O-D ne permet pas non plus d’assurer que l’offre prévue est correctement dimensionnée pour absorber les pics de demandes des lundis matin, des mercredis midi ou des vendredis soir, voire des dimanches soir selon les réseaux. Ainsi, 300 à 305 jours d’exploitation sur un réseau sur une année ne peuvent être pleinement examinés par le biais d’une enquête O-D.
Les enquêtes O-D sont organisées idéalement en amont d’une réflexion profonde sur le réseau, parfois dans le cadre d’un appel d’offre de Délégation de Service Public. Le coût des enquêtes ne permet pas d’envisager la même étude en aval des changements profonds d’offre du réseau. Ces derniers sont ainsi évalués sur une vision globale du réseau, par l’évolution des validations, qui donnent une tendance générale sans pouvoir percevoir la vraie dynamique du réseau. Par exemple, l’enquête O-D révèle une ligne de désir par le fait de nombreuses correspondances entre deux zones de l’agglomération, et permet de justifier une nouvelle ligne du réseau pour encourager ces déplacements et en susciter de nouveaux. L’absence d’enquête O-D post-restructuration ne permet pas de s’assurer qu’il y a bien de nouveaux déplacements réalisés grâce à la nouvelle ligne.
L’évolution récente des mobilités démontre une grande volatilité des choix de déplacements. Les habitants d’une entité urbaine n’ont plus un seul mode de déplacement privilégié mais combinent plusieurs modes de déplacements selon leurs besoins, selon les journées. De fait, une « photo » à l’instant T ne permet pas de tirer des conclusions de manière générale sur les usages du réseau. De la même manière, le recouvrement progressif de la fréquentation post-COVID tend à considérer toute constatation comme étant provisoire et permet difficilement – toutes choses égales par ailleurs – d’estimer que la réalité révélée par une enquête O-D sera la même dès l’année suivante. Aussi, est-on sûrs qu’une surcharge à bord d’un bus révélée en octobre dans l’enquête O-D est toujours valable en Janvier ou Février, quand on observe une baisse des déplacements vers les lieux d’études supérieures ? A partir de quand observe-t-on une fin des surcharges ? L’enquête O-D s’avère donc insuffisante pour capter les évolutions journalières, hebdomadaires et mensuelles d’un réseau dans le temps, ce qui est pourtant essentiel pour optimiser l’offre de transport.
Intelligence artificielle et capteurs, les nouveaux horizons de connaissance des déplacements
Les limites d’une enquête O-D – photo partielle du réseau, usage très occasionnel en amont d’une restructuration, évolution importante des dynamiques des réseaux – amènent à se questionner sur les moyens d’apporter une information complémentaire à cette source d’enquête. De nombreuses pistes existent faisant appel à des technologies et/ou à une intelligence artificielle innovante, permettant pour certaines d’envisager un plus grand espacement des enquêtes O-D dans la planification pluriannuelles d’études, voire leur remplacement.
La première d’entre elles consiste à « acheter » les données d’enregistrement anonyme des smartphones en utilisant les données d’accéléromètre de ces derniers pour identifier les déplacements réalisés par modes. Cette méthodologie reste à ses balbutiements avec de nombreuses marges d’erreur pour la détermination du mode de transport associé à une vitesse et un rythme de déplacement.
La deuxième solution consiste à équiper les véhicules de boîtiers captant les signaux Wifi ou Bluetooth de chaque smartphone à bord des véhicules, permettant de reconstituer les déplacements de voyageurs équipés de smartphone et qui acceptent que leur signal soit exploité de manière anonyme. Cette solution nécessite un équipement important du parc de véhicules ou sinon l’organisation d’une bonne rotation du matériel pour capter l’ensemble de la demande du réseau sur un échantillon.
La dernière solution consiste à exploiter les données des systèmes billettiques, voire de comptage et les coupler avec le SAE par une reconstitution algorithmique des déplacements basée sur le suivi des validations individuelles anonymisées. Cette dernière solution, que l’on peut également appeler « billettique inversée », développée par CITiO, cherche ainsi à exploiter une face largement inexploitée des systèmes existants. Elle induit des marges d’erreur liées à l’usage d’algorithmes mais celles-ci sont limitées par le caractère exhaustif des données de validation et de SAE qui permet de déduire des probabilités de déplacements de manière fine.
Ces trois méthodes de connaissance complémentaire des déplacements ne sauraient remplacer complètement une enquête O-D, puisqu’elles ne permettent pas de qualifier les voyageurs (âge, CSP, etc.) et les motivations de leurs déplacements, mais elles constituent un excellent complément de connaissance des déplacements pour optimiser l’offre de transport pour les quelques 300-305 jours d’une année d’exploitation non couverts par l’enquête-reine. Ces méthodes donnent ainsi l’opportunité de maîtriser le budget consacré aux enquêtes O-D, en les espaçant davantage dans le temps ou en les organisant sur des portions de réseaux en amont de grands projets structurants (tramway, BHNS). Aussi, elles donnent la possibilité aux agglomérations de taille moyenne (moins de 100 000 habitants) d’avoir une vraie connaissance des déplacements, alors qu’elles se privent souvent d’investissements dans une enquête O-D.